CHAPITRE 20

 

Ortega m’a laissé sur Mission Street alors que le soir tombait sur la ville. Elle n’avait pas prononcé deux mots pendant le vol de retour. S’obliger à se souvenir que je n’étais pas Ryker devait lui peser. Mais quand je me suis frotté les épaules avant de sortir de la voiture, elle a ri.

— Restez près du Hendrix, demain, a-t-elle dit. J’aimerais que vous parliez à quelqu’un… mais la rencontre risque de prendre du temps à organiser.

— D’accord, ai-je répondu.

— Kovacs…

Je me suis retourné. Elle s’était penchée pour me regarder par la portière ouverte. Posant mon bras sur la carrosserie, j’ai levé les yeux vers elle. Une longue pause a suivi, durant laquelle j’ai senti l’adrénaline monter.

— Oui ?

Elle a hésité de nouveau.

— Carnage cachait quelque chose, n’est-ce pas ?

— Vu la façon dont il parlait, je dirais oui.

— C’est ce que je pensais, a-t-elle dit en tapotant sur la console de contrôle. (La porte a commencé à descendre.) À demain.

J’ai regardé la voiture s’éloigner dans le ciel et j’ai soupiré. Aller voir Ortega était la bonne décision, mais je ne m’étais pas attendu que ce soit si dur. Entre Ryker et elle, l’alchimie avait dû être dévastatrice. Je me rappelais avoir lu que les phéromones initiales de deux corps attirés l’un par l’autre subissaient une forme d’encodage : plus longtemps lesdits corps étaient à proximité, plus ils étaient intensément liés. Aucun des biochimistes interrogés ne comprenait le processus, mais ils avaient fait des essais et joué avec en laboratoire. Résultat, l’empathine et ses dérivés.

De la chimie. Je me remettais juste du cocktail offert par le corps de Miriam Bancroft et je n’avais pas besoin de ça.

Je n’ai pas besoin de ça, me suis-je répété. C’était indiscutable.

L’hologramme du joueur de guitare gaucher flottait à l’extérieur du Hendrix, au-dessus des têtes des passants. J’ai soupiré de nouveau avant de me mettre en route.

À mi-chemin, un véhicule automatique est passé près de moi. Il ressemblait plus ou moins aux robots qui nettoyaient les rues de Millsport et je n’y ai pas prêté attention. Quelques secondes plus tard, j’étais noyé sous la transmission de la machine :

En direct des Maisons des Maisons des Maisons des Maisons des Maisons des Maisons…

Les voix grognaient et murmuraient, mâles et femelles confondues. On aurait dit une chorale en proie à un orgasme. Il était impossible d’échapper aux images, qui couvraient un large spectre de préférences sexuelles. Un tourbillon d’impressions sensorielles fugaces.

Véritables…

Entier…

Reproduction sensorielle…

Sur mesure…

Et, comme pour prouver le dernier point, les images d’abord lancées au hasard ont muté en une diffusion rapide de diverses combinaisons hétérosexuelles. Ils avaient dû analyser mes réactions et réagir en conséquence. Très high-tech.

La transmission s’est achevée par un numéro de téléphone en lettres brillantes accompagné d’une image de pénis en érection dans les mains d’une brune à cheveux longs et au sourire écarlate. Elle a regardé la caméra. Je pouvais sentir ses doigts.

« La Tête dans les Nuages, a-t-elle soufflé. Nous vous attendons. Vous n’avez peut-être pas les moyens de monter, mais vous pouvez certainement vous offrir ceci. »

Sa tête s’est baissée et ses lèvres ont glissé sur le pénis. Comme si c’était le mien. Puis les longs cheveux ont peu à peu couvert l’image. Je me suis retrouvé dans la rue, couvert d’une fine pellicule de sueur. Le véhicule automatique a continué sa route. Certains des piétons, prévenus, s’écartaient rapidement du rayon de transmission.

Le numéro de téléphone était inscrit dans mon esprit avec une clarté étonnante.

La sueur s’est transformée en frisson. J’ai relâché les épaules et j’ai repris ma route, essayant de ne pas remarquer les regards compréhensifs des gens autour de moi. J’avais atteint le rythme de croisière quand un vide s’est ouvert dans les promeneurs et j’ai vu la longue limousine garée devant les portes du Hendrix.

Mes nerfs à vif ont propulsé ma main sur la crosse du Nemex avant que je reconnaisse le véhicule de Bancroft. J’ai expiré longuement et fait le tour de la voiture pour découvrir que le compartiment du chauffeur était vide. Je me demandais quoi faire quand la portière arrière s’est ouverte. Curtis en est sorti.

— Nous devons parler, Kovacs, a-t-il dit sur un ton viril qui a failli me faire pousser un ricanement hystérique. Il est temps de faire un choix…

Je l’ai étudié de haut en bas. La raideur de sa posture et de son attitude trahissait une amélioration chimique. J’ai décidé de la jouer amusé.

— Bien sûr. Dans la limousine ?

— C’est serré à l’intérieur. Et si vous m’invitiez dans votre chambre ?

J’ai plissé les yeux. Il y avait une hostilité indiscutable dans le ton du chauffeur et une indéniable bosse érectile sous sa livrée immaculée. D’accord, j’en avais une similaire, en pleine détumescence, mais la voiture de Bancroft était blindée contre les transmissions. La brune n’avait pas agi sur lui.

J’ai désigné l’entrée de l’hôtel.

— OK, allons-y.

Les portes se sont ouvertes pour nous laisser passer et le Hendrix s’est éveillé.

— Bonsoir, monsieur. Vous n’avez pas de visiteur ce soir…

Curtis a reniflé.

— Déçu, Kovacs ?

— … et vous n’avez reçu aucun appel depuis votre départ, a continué l’hôtel. Souhaitez-vous faire admettre cette personne en tant qu’invité ?

— Ouais. Vous avez un bar ?

— J’ai dit dans votre chambre, a grogné Curtis derrière moi avant de gémir en s’emplâtrant le tibia sur une des tables basses du grand hall.

— Le Midnight Lamp est situé à cet étage, a répondu l’hôtel. Mais il n’a pas été utilisé depuis un certain temps.

— J’ai dit…

— Taisez-vous, Curtis. « Jamais le premier soir », ça vous rappelle quelque chose ? Le Midnight Lamp me paraît parfait. Allumez-le.

De l’autre côté du hall, à côté de la console d’enregistrement, une grande section du mur a glissé sur le côté et des lumières se sont allumées dans l’espace situé derrière. Je me suis approché, Curtis protestant derrière moi, et j’ai levé les yeux sur la volée de marches qui menait au bar.

— Ça ira. Venez.

L’imagination du décorateur laissait à désirer. Les murs ornés de tourbillons bleus et violets étaient constellés d’horloges indiquant soit minuit, soit quelques minutes avant. Les horloges étaient mêlées à des lampes, de toutes les formes connues, des lampes préhistoriques en terre cuite jusqu’aux cylindres lumineux à dégradation d’enzymes. Le bar central avait la forme d’un cadran de compte à rebours. Des banquettes et des tables au plateau en forme d’horloge étaient disposées autour. Un robot composé entièrement de pendules et de lampes attendait, immobile, à côté de la douzième heure.

L’absence totale d’autres clients rendait le lieu encore plus étrange. J’ai senti Curtis se calmer un peu.

— Que puis-je vous servir, messieurs ? a demandé la machine, de façon assez inattendue.

Il n’avait pas de haut-parleur visible. Son visage était une antique horloge analogique aux bras fins et baroques et aux heures inscrites en chiffres romains. Un peu troublé, je me suis tourné vers Curtis dont le visage n’était pas un appel à la sobriété.

— Vodka, a-t-il dit. Glacée.

— Et un whisky. De la même marque que celui de ma chambre. À température ambiante. Le tout sur ma note…

Le visage de pendule s’est incliné légèrement et un bras articulé s’est balancé pour choisir des verres sur une étagère. L’autre bras, qui se terminait en lampe, a versé les alcools.

Curtis a avalé une bonne dose de vodka. Il a pris une longue inspiration, puis a poussé un grognement satisfait. J’ai siroté mon whisky, plus circonspect, me demandant depuis combien de temps du liquide n’avait pas coulé dans les tuyaux et les buses du bar. Mes peurs se sont vite révélées injustifiées et j’ai laissé l’alcool couler dans mon estomac.

Curtis a reposé son verre.

— Vous êtes prêt à parler, maintenant ?

— D’accord, Curtis. Je suppose que vous m’apportez un message.

— Ouais, a-t-il répondu, d’une voix suraiguë. La dame demande si oui ou non vous allez accepter son offre généreuse. C’est tout. Je dois vous laisser le temps de la réflexion, alors je vais finir mon verre…

J’ai contemplé une lampe de sable martienne suspendue sur le mur opposé. Je commençais à comprendre l’humeur de Curtis.

— On fait le dur pour défendre son territoire, hein ?

— Ne me cherchez pas, Kovacs, a-t-il répondu, à bout de nerfs. Un mot de trop, et je…

— Et vous quoi ?

J’ai posé mon verre et je lui ai fait face. Il avait moins de la moitié de mon âge subjectif… un gamin jeune et musclé, chimiquement emballé dans l’illusion qu’il était dangereux. Il me rappelait tellement celui que j’étais à vingt ans que ça me rendait dingue.

Il fallait le secouer.

— Vous quoi ?

Curtis a avalé sa salive.

— J’étais dans les marines provinciaux.

— Comme pin-up ? (J’ai failli le pousser sur la poitrine, mais je me suis ravisé, honteux. J’ai baissé la voix.) Écoutez, Curtis. Ne nous faites pas subir ça.

— Vous pensez être un dur, hein ?

— Ce n’est pas une question de dur, C… urtis. (J’avais failli l’appeler crétin. C’était comme si une partie de moi voulait se battre.) Nous faisons partie de deux espèces différentes. Que vous apprennent-ils dans les marines provinciaux ? Le combat au corps à corps ? Vingt-sept façons de tuer un homme à mains nues ? Peut-être, mais derrière tout cela, vous restez un homme. Je suis un Diplo.

Il est venu me chercher tout de même, avec un direct censé me distraire tandis que le coup de pied latéral fonçait vers ma tête. Oh, le geste était bon, s’il réussissait, mais le tout était tellement téléphoné… La faute aux chimiques, sans doute. Dans un vrai combat, personne ne donne de coups de pied au-dessus de la ceinture. J’ai évité le direct et le pied d’un même mouvement et j’ai attrapé sa cheville. Une rotation sèche et Curtis a dérapé avant de s’écraser sur le comptoir du bar. Je lui ai fracassé le visage sur la surface brillante et je l’ai maintenu là en le tenant par les cheveux.

— Tu vois ce que je veux dire ?

Il a fait des bruits étouffés et s’est débattu tandis que le barman restait immobile. Le sang de son nez cassé se répandait sur le comptoir. J’ai étudié les formes qu’il prenait, me concentrant. Résister à mon conditionnement était presque douloureux.

Saisissant son bras droit, je l’ai remonté derrière l’épaule. Il a arrêté de se débattre.

— Bien. Maintenant, tu restes tranquille, ou je le casse. Je ne suis pas d’humeur. (En parlant, je l’ai rapidement fouillé. Un petit tube plastique m’attendait dans la poche intérieure de sa veste.) A-ha ! Quelles merveilles s’est-on injecté dans le système ce soir ? Des amplificateurs d’hormones, si j’en crois la taille de cette érection.

Levant le tube à la lumière, j’ai vu des milliers de petits éclats de cristaux.

— Conditionnement militaire. Où as-tu récupéré ça, Curtis ? Un cadeau de libération des marines ?

J’ai continué la fouille et j’ai trouvé le système d’injection, un minuscule pistolet avec une fenêtre d’insertion et une bobine magnétique. Il suffisait de verser les cristaux et de fermer la fenêtre. Le champ magnétique les alignait et l’accélérateur les crachait à la vitesse de pénétration.

Pas très différent du pistolet de Sarah… Pour les médics de combat, c’était une alternative robuste, et donc populaire, aux hyposprays.

J’ai relevé Curtis et je l’ai repoussé. Il a réussi à rester debout, en se serrant le nez d’une main et en me regardant méchamment.

— Lève la tête pour arrêter le saignement, ai-je dit. Allez, je ne vais pas te faire mal.

— Engulé de da bère.

J’ai montré les cristaux et le petit pistolet.

— Où as-tu eu ça ?

— Suce ba bite, Kovacs.

Curtis a penché la tête en arrière en essayant de me regarder en même temps. Ses yeux ont roulé dans leurs orbites comme ceux d’un cheval affolé.

— Je ne dirais bas un bot !

— Très vertueux de ta part, ai-je soupiré en posant les cristaux sur la table. Alors laisse-moi te dire quelque chose, à la place. Tu veux savoir comment on fabrique un Diplo ? Je vais te l’apprendre. Ils prennent ta psyché, et ils en grillent les mécanismes de limitation de violence. Les signaux de reconnaissance de soumission, les dynamiques de hiérarchie, les loyautés au groupe. Tout ça disparaît, un neurone à la fois… pour être remplacé par une volonté consciente de faire mal.

Il m’a regardé en silence.

— Tu comprends ? Il aurait été plus facile pour moi de te tuer. Il a fallu que je me force pour m’arrêter. C’est ça un Diplo, Curtis. Un humain réassemblé. Un artifice.

Le silence s’est éternisé. Aucun moyen de savoir s’il comprenait ou pas. J’ai repensé au jeune Takeshi Kovacs à Newpest, un siècle et demi plus tôt. Non, il ne comprenait sans doute pas. À cet âge-là, une telle description m’aurait fait fantasmer.

J’ai haussé les épaules.

— Au cas où tu ne l’aurais pas encore deviné, la réponse à la question de la dame est « non ». Je ne suis pas intéressé. Voilà. Tu dois être content, et ça ne te coûte qu’un nez cassé pour l’apprendre. Si tu ne t’étais pas dosé jusqu’aux oreilles, ça t’aurait coûté encore moins cher. Dis-lui que je la remercie, que l’offre a été appréciée à sa juste valeur, mais qu’il se passe trop de choses ici pour que j’arrête. Dis-lui que l’affaire commence à me plaire.

Un léger toussotement a résonné à l’entrée du bar. J’ai levé les yeux pour voir une silhouette en costume, au crâne surmonté d’une iroquoise écarlate.

— Je dérange ? a demandé l’Iroquois.

Sa voix était calme et détendue. Ce n’était pas un des lourds de Fell Street.

J’ai pris mon verre sur le bar.

— Pas du tout, sergent. Venez nous rejoindre. Que voulez-vous boire ?

— Un rhum hors d’âge, a répondu le policier en se dirigeant vers nous. S’ils en ont. Un petit verre.

J’ai levé un doigt vers la gueule d’horloge. Le barman a sorti un verre carré et l’a rempli d’un superbe liquide ambré. L’Iroquois est passé devant Curtis, lui a jeté un coup d’œil étonné, et a pris le rhum.

— Merci, a-t-il dit en buvant une gorgée et en inclinant la tête. Pas mal. J’aimerais vous parler, Kovacs. En privé.

Nous avons tous deux fixé Curtis des yeux. Le chauffeur m’a jeté un regard plein de haine, mais le nouvel arrivant avait désamorcé l’affrontement. Le flic a désigné la sortie du menton.

Curtis est parti, se tenant toujours le nez. L’Iroquois l’a suivi des yeux jusqu’à ce qu’il disparaisse, puis il s’est tourné vers moi.

— C’est vous qui lui avez fait ça ?

J’ai acquiescé.

— J’ai répondu à la provocation. La situation le dépassait. Il pensait protéger quelqu’un…

— Eh bien, je suis ravi qu’il ne me protège pas !

— Comme j’ai dit, il était dépassé. J’ai réagi un peu fort.

— Oh, vous n’avez pas besoin de m’expliquer ! a dit le flic en se penchant sur le bar et en regardant autour de lui avec intérêt. (Je l’ai reconnu. Le complexe de stockage de Bay City, le flic qui avait peur que son badge ternisse.) Il a l’air vexé… S’il porte plainte, nous serons forcés de repasser la bande d’enregistrement de cet endroit.

— Vous avez un mandat ? ai-je demandé avec une légèreté que je ne ressentais pas.

— Presque. Ça prend des plombes à obtenir avec le département juridique… Putains d’IA. Écoutez, je voulais vous présenter mes excuses pour la conduite de Mercer et de Davidson… pour la façon dont ils se sont comportés au commissariat. Ils peuvent se montrer très cons, parfois, mais au fond ce ne sont pas de mauvais gars…

— Laissez tomber, ai-je dit en agitant mon verre.

— Bien. Je m’appelle Rodrigo Bautista… Je suis sergent, et le partenaire d’Ortega, la plupart du temps… (Il a vidé son verre et m’a souri.) Sans autre attache, je précise.

— C’est noté, ai-je dit avant de faire signe au barman de remplir de nouveau nos verres. Dites-moi, vous allez tous chez le même coiffeur ou c’est un genre de rituel tribal ?

— Le même coiffeur, a répondu Bautista en haussant les épaules. Un vieux mec, sur Fulton. Un ancien taulard. Apparemment, les Iroquois étaient à la mode quand ils l’ont mis au placard. C’est le seul style qu’il connaisse, mais il est gentil et pas cher. Un de nous a commencé à y aller il y a quelques années et ensuite le type nous a fait des réductions. Vous savez ce que c’est…

— Mais pas Ortega.

— Elle se coupe les cheveux elle-même, a répondu Bautista avec un petit geste d’impuissance. Elle possède un petit scanner holocast… Elle dit que ça améliore sa coordination spatiale, ou un truc dans ce genre.

— Le résultat est… différent.

— Ouais. Différente. Bonne définition d’Ortega. (Bautista a fait une pause, le regard dans le vide. Puis il a bu une gorgée.) C’est pour elle que je suis là.

— Oh ! oh ! Un avertissement amical ?

Bautista a fait une grimace.

— Eh bien, ça va être amical, c’est sûr ! Je tiens à mon nez.

J’ai ri malgré moi. Bautista a souri.

— Le truc, c’est que vous voir avec ce visage, ça la déchire. Ryker et elle étaient très proches. Elle a fini de payer l’amortissement de l’enveloppe depuis un an maintenant et, sur le salaire d’un lieutenant, c’était pas facile… Elle ne s’était pas doutée que cet enculé de Bancroft pourrait aligner autant pour obtenir ce corps. Après tout, Ryker n’est pas tout jeune et il n’a jamais été un top model…

— Il a un neurachem, ai-je souligné.

— Oh, oui ! Il a un neurachem. (Bautista a eu un geste vague.) Vous l’avez essayé ?

— Deux fois.

— C’est comme danser le flamenco sur un trampoline, hein ?

— Il est un peu rude, ai-je avoué.

Cette fois, nous avons ri tous les deux. Quand nous nous sommes calmés, le flic s’est concentré sur son verre. Il est devenu sérieux.

— Je n’essaie pas de vous faire plier. Tout ce que je veux dire, c’est : allez-y mollo. Ce n’est pas ce dont elle a besoin en ce moment.

— Moi non plus, ai-je répondu. Ce n’est même pas ma putain de planète.

Bautista a semblé compatir, à moins qu’il soit seulement un peu bourré.

— Harlan est très différent, je suppose.

— Vous supposez bien. Écoutez, je ne veux pas être brutal, mais est-ce que quelqu’un a expliqué à Ortega que la condamnation de Ryker en fait presque un vrai mort ? Elle ne va pas l’attendre deux cents ans, tout de même ?

Le flic m’a regardé en plissant des yeux.

— Vous avez entendu parler de Ryker, hein ?

— Je sais qu’il a plongé pour deux siècles. Je sais aussi pourquoi il est tombé.

Des éclats de douleur passée dansèrent dans les yeux de Bautista. Parler des collègues corrompus ne devait pas être drôle. Un instant, j’ai regretté ce que j’avais dit.

Couleur locale. Absorbe.

— Vous voulez vous asseoir ? a dit le flic sans joie, cherchant un tabouret de bar. Dans une des alcôves, peut-être ? L’explication va prendre un certain temps…

Nous nous sommes installés à une table et Bautista a cherché son paquet de cigarettes. J’ai sursauté mais, quand il m’en a proposé une, j’ai secoué la tête. Comme Ortega, il a eu l’air surpris.

— J’arrête.

— Dans cette enveloppe ? a demandé Bautista avec respect derrière un voile de fumée bleue. Félicitations.

— Merci. Vous alliez me parler de Ryker…

— Ryker ne travaillait avec nous que depuis deux ans. Avant, il était aux Vols d’enveloppes. Un service plutôt sophistiqué, comparé à nous… Il n’est pas facile de piquer une enveloppe intacte et les criminels sont d’une catégorie évoluée. Il y a un certain recoupement avec le boulot des Dommages organiques… surtout quand ils commencent à transformer les corps en pièces détachées. Dans des endroits comme la clinique Wei.

— Oh ? ai-je demandé, d’un ton neutre.

— Ouais, un inconnu nous a fait gagner un temps fou là-bas. Il a transformé l’endroit en solderie de pièces détachées. Mais je suppose que vous ne savez rien.

— Les faits ont dû se produire après ma sortie.

— Ouais. Bon… à l’hiver 09, Ryker était sur la piste d’une fraude à l’assurance… Vous voyez le principe : les cuves des clones de réenveloppement payés par l’assurance qui se retrouvent être vides, et les corps disparus. Corps qui sont utilisés dans une sale petite guerre dans le Sud. Corruption à haut niveau… C’est monté jusqu’au Présidium des NU avant de redescendre. Quelques têtes sont tombées et Ryker est devenu un héros.

— Tant mieux pour lui.

— À court terme, oui. Mais ici, les héros sont connus, et ils lui ont fait la totale. Interviews sur WorldWeb One, et même une liaison avec Sandy Kim qui lui a valu les gros titres. Avant que tout soit oublié, Ryker a demandé son transfert aux Dommages organiques. Il avait déjà travaillé deux fois avec Ortega, il connaissait le programme. Le département ne pouvait rien lui refuser, surtout après sa connerie de discours où il disait qu’il voulait travailler « là où il ferait une différence »…

— Et il l’a faite ? La différence, je veux dire ?

Bautista a gonflé les joues.

— C’était un bon flic. Je crois. Le premier mois, Ortega aurait peut-être pu vous donner un avis objectif. Mais ils se sont mis ensemble et sa capacité de jugement a explosé en vol.

— Vous désapprouvez ?

— Eh, je n’ai pas à désapprouver ! Vous ressentez ces choses-là pour quelqu’un, vous arrêtez de réfléchir. C’est humain. Quand Ryker a merdé, Ortega était partie pour le suivre…

J’ai pris nos verres et je les ai fait remplir de nouveau.

— Vraiment ? Je pensais qu’elle l’avait arrêté.

— Où avez-vous entendu ça ?

— Au cours d’une discussion. La source n’était pas sûre. Ce n’est pas vrai ?

— Non. Dans la rue, certaines ordures aiment bien en rajouter. Je crois que l’idée de nous voir nous planter les uns les autres les fait jouir. En fait, les Affaires internes ont choppé Ryker dans l’appartement d’Ortega.

— Oooh !

— Ouais, depuis, elle a un pointeur laser au cul, a expliqué Bautista en prenant son nouveau verre. Elle ne le montre jamais, vous savez. Elle s’est mise aussi sec à contester les charges des Affaires internes.

— D’après ce que j’ai entendu, ils ont pris Ryker la main dans le sac. Ils l’ont grillé.

— Ouais, votre source avait au moins ça de bon, a répondu l’Iroquois, pensif, comme s’il hésitait à poursuivre. Ortega affirme que Ryker s’est fait piéger par un connard tombé en 09. Et c’est vrai qu’il a énervé un paquet de gens.

— Mais vous ne croyez pas à cette version.

— J’aimerais. Ryker était un bon flic. Mais, comme je l’ai dit, l’unité des Vols d’enveloppes avait affaire à une classe de criminels intelligents… Avec eux, il fallait être prudent. Les criminels intelligents ont des avocats encore plus intelligents et on ne peut pas les secouer comme on veut. Les Dommages organiques traitent tout le monde, des racailles aux mecs des plus hauts échelons. Nous avons plus de liberté. C’est ce que tu voulais… pardon, ce que Ryker voulait quand il a demandé son transfert. Plus de liberté. (Bautista a posé son verre en s’éclaircissant la voix. Il m’a regardé dans les yeux.) Je crois que Ryker s’est un peu laissé aller.

— Blam, blam, blam ?

— Quelque chose comme ça. Je l’ai vu conduire des interrogatoires. Il était sur le fil du rasoir. Un dérapage et… (Il y avait de la peur à présent dans les yeux de Bautista. La peur avec laquelle il vivait tous les jours.) Avec certains de ces enfoirés, il est facile de perdre son sang-froid. Si facile. Je crois que c’est ce qui s’est passé.

— Mes sources m’ont dit qu’il en avait vémé deux et qu’il en avait laissé deux avec leurs piles intactes. Pour un homme intelligent, c’est agir à la légère.

Bautista a secoué la tête.

— C’est l’argument d’Ortega. Mais il ne tient pas. Tout s’est passé dans une clinique au noir de Seattle. Les deux mecs respiraient encore quand ils sont sortis du bâtiment. Ils ont pris une voiture et se sont envolés. Ryker a fait cent vingt-quatre trous dans la carrosserie au moment du décollage. En pleine heure de pointe… Les deux hommes se sont écrasés dans le Pacifique. L’un est mort aux commandes, l’autre à l’impact. Ils ont coulé. Ryker était en dehors de sa juridiction et les flics de Seattle n’aiment pas que les badges d’une autre ville arrosent la circulation. L’équipe de récupération ne l’a pas laissé approcher des corps. Tout le monde a été très surpris quand les piles se sont révélées être catholiques. La police de Seattle a eu du mal à l’accepter. Ils ont creusé un peu plus profond et il s’est avéré que les stickers d’objection de conscience étaient faux. Des faux fabriqués par quelqu’un qui s’y prenait comme un manche…

— Ou qui était très pressé.

Bautista a claqué des doigts avant de pointer l’index vers moi. Il était un peu bourré.

— C’est ça. D’après les Affaires internes, Ryker a merdé en laissant les témoins s’échapper, et son seul espoir était de coller des étiquettes « ne pas déranger » sur leur pile. Bien sûr, quand ils ont été ramenés, ils ont juré leurs grands dieux que Ryker s’était présenté sans mandat, qu’il les avait trompés et qu’il avait pénétré de force dans la clinique… Ils n’avaient pas voulu répondre à ses questions, et Ryker avait commencé à jouer à « Un deux trois, soleil » avec un blaster à plasma.

— Ils mentaient ?

— Pour le mandat ? Non. Ryker n’avait rien à faire là. Pour le reste ? Qui sait ?

— Qu’a dit Ryker ?

— Il a nié.

— C’est tout ?

— Nan, sa version est plus longue… Il a déclaré qu’il était entré dans la clinique au bluff, sur la foi d’un tuyau… et qu’ils s’étaient soudain mis à lui tirer dessus. Il affirme qu’il en a peut-être touché un, mais pas à la tête ; que la clinique a dû faire venir deux employés et les sacrifier avant son arrivée. Et, bien sûr, il déclare tout ignorer de cette histoire de faux. (Bautista a haussé les épaules.) Ils ont trouvé le faussaire qui jure que Ryker l’a engagé. L’homme a été testé au polygraphe. Mais il a dit aussi que Ryker l’avait appelé… l’ordre n’avait pas été passé en personne. Liaison virtuelle.

— Qui peut être facilement truquée.

— Ouais, a répondu Bautista, satisfait. Sauf que le faussaire raconte aussi qu’il avait déjà travaillé pour Ryker, cette fois en personne, et le polygraphe confirme. Bien sûr, les Affaires internes ont voulu savoir pourquoi Ryker n’était pas venu avec des renforts. Ils ont trouvé des témoins dans la rue qui ont affirmé que Ryker se conduisait comme un maniaque, tirant n’importe comment, essayant d’abattre la bagnole. La police de Seattle a moyennement apprécié.

— Cent vingt-quatre trous, ai-je murmuré.

— Ouais. Ça fait beaucoup. Ryker voulait vraiment les avoir.

— Il s’agissait peut-être d’un traquenard…

— Peut-être. Il y a de nombreuses possibilités. Mais le fait est que tu… merde, désolé… le fait est que Ryker avait été trop loin et que, quand la branche a cassé, il n’y a eu personne pour le rattraper.

— Donc, Ortega croit à l’histoire du traquenard, elle défend Ryker et se bat contre la version des Affaires Internes. Et quand Ryker perd… quand Ryker perd, elle paie l’amortissement du corps pour qu’il ne parte pas en salle des ventes. Et elle part chercher de nouvelles preuves, c’est ça ?

— Bien vu. Elle a déjà fait appel, mais il y a une franchise de deux ans après la sentence avant de commencer la procédure. (Bautista a laissé échapper un long soupir.) Comme je disais, ça la déchire.

Nous avons gardé le silence un instant.

— Vous savez, je crois que je vais rentrer, a soupiré Bautista. Être assis ici à parler de Ryker à Ryker… ça devient bizarre. Je ne sais pas comment fait Ortega.

— Ah, les joies des temps modernes ! ai-je dit en reposant mon verre.

— Ouais, je suppose. Je devrais être habitué. J’ai passé la moitié de ma vie à parler à des victimes qui portaient le visage d’autres personnes. Sans parler des ordures.

— Et où classez-vous Ryker ? Dans les victimes ou dans les ordures ?

Bautista a plissé le front.

— La question n’est pas sympa. Ryker est un bon flic qui a fait une connerie. Ça n’en fait pas une ordure. Ça n’en fait pas une victime non plus. Ça en fait seulement… quelqu’un qui a merdé. Moi, je n’en suis pas très loin.

— Bien sûr. Désolé. La fatigue. (Je me suis frotté le visage. Un Diplo était censé gérer la conversation mieux que ça.) Je sais de quoi vous parlez… L’impression m’est familière. Bon, il est l’heure d’aller se coucher. Si vous voulez un autre verre, n’hésitez pas, c’est pour moi…

— Non, merci, a répondu Bautista en finissant le sien. Une règle de vieux flic. Ne jamais boire seul.

— J’aurais dû être un vieux flic, ai-je dit en me levant. (J’ai titubé un peu. Ryker avait beau être un suicidaire de la cigarette, il ne tenait pas bien l’alcool.) Vous trouverez la sortie, je suppose.

— Pas de problème. (Bautista s’est levé et a fait une demi-douzaine de pas avant de se retourner.) Oh oui… Cela va sans dire : cette conversation n’a pas eu lieu… d’accord ?

— Quelle conversation ?

Il a souri, amusé, et son visage a soudain semblé très jeune.

— Parfait. Bien. On se reverra sûrement.

— Sûrement.

Je l’ai regardé quitter le bar puis, à regret, j’ai lancé le conditionnement de contrôle diplo. Une fois désagréablement sobre, j’ai ramassé les cristaux de drogue de Curtis et je suis allé parler au Hendrix.

Carbone Modifié
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